Construite entre 1928 et 1931 par les architectes R. Fonné et E. Rochas, la cité de l’Abbaye est à l’origine une figure de proue, à la fois des progrès sociaux en termes d’habitat sous l’impulsion du socialisme municipal de Paul Mistral et de la loi Bonnevay, mais aussi de l’urbanité : les 15 bâtiments répartis sur 3 îlots densément construits à la limite sud du faubourg vernaculaire semblent vouloir conquérir la campagne.
Troisième exemple d’ensemble Habitat Bon Marché (HBM) construit sur le territoire grenoblois, la cité, comprenant 242 logements, témoigne sur le plan architectural et urbain d’une maîtrise de la forme urbaine dans un équilibre savant entre pleins et vides, intimité du cœur d’îlot et ouverture sur l’extérieur, gabarit des bâtiments et détails simples mais présents des modénatures. Sur le plan socioculturel, elle véhicule une grande richesse anthropologique, notamment au regard de la communauté tzigane sédentarisée de Grenoble à laquelle elle est souvent associée.
Depuis sa construction, la cité a fait l’objet d’une campagne de rénovation en 1978 et a été labellisée Architecture contemporaine remarquable en 2003. Cependant les logements sont aujourd‘hui très éloignés des standards du confort moderne, notamment en termes d’isolation thermique et phonique, d’accessibilité et de surface. Un corpus d’études, réalisées principalement entre 2008 et 2013 sous l’égide du bailleur social Actis (propriétaire de la cité, de la ville de Grenoble et de l’État), a permis :- d’écarter les menaces de périls qui pesaient sur les bâtiments en matière de sismicité ; - de préciser l’importance du saut qualitatif à effectuer en matière d’accessibilité, de confort thermique et d’habitabilité ; - de procéder à un inventaire partiel du patrimoine architectural urbain notamment grâce à la contribution d’un architecte des bâtiments de France ; - d’étudier des scénarios de réhabilitation totale et de démolition/reconstruction, dans une optique d’habitabilité et d’adaptation aux modes de vie contemporains. Ces études, partagées par les différents acteurs directement concernés (le bailleur ACTIS, le Conseil Régional, l’État, la ville de Grenoble, Grenoble-Alpes Métropole) ont fait apparaître un déficit budgétaire significatif (18 M€) entre les hypothèses de réhabilitation intégrale de la cité de l’Abbaye et celles de démolition/reconstruction. En effet, à coûts comparables, les recettes se révèlent nettement inférieures dans l’hypothèse d’une réhabilitation (subventions de l’État inférieures, absence de recettes foncières, mobilisation moindre des fonds propres du bailleur), la cité n’étant pas inscrite ou classée au titre des Monuments historiques et ne pouvant bénéficier de financements dédiés à la réhabilitation des édifices protégés.
A partir de ces conclusions, la Ville a décidé en janvier 2016 de confier un mandat à la SPL SAGES visant à coordonner de nouvelles études architecturales, urbaines, patrimoniales et d’usages en vue de définir un futur pour la cité. Du point de vue de la conservation du patrimoine, 3 impératifs prévalent : - dès décembre 2015 (en amont de la mise en œuvre du mandat) participation de l’architecte des bâtiments de France référent (UDAP Isère) aux comités techniques et de pilotage, - l’affirmation d’une compétence "architecture du patrimoine" dans le groupement d’étude afin de produire des scenarii de conservation totale ou partielle, - L’élaboration des hypothèses de réhabilitation dans un principe de réalisme intégrant notamment leur viabilité économique. Celle-ci fera l’objet d’un travail spécifique de recherche de pistes de financement complémentaires. Les parties prenantes du projet solliciteront à cet égard l’appui des services de l’État afin d’identifier des solutions permettant aux édifices labellisés Architecture contemporaine remarquable d’être valorisés de manière soutenable. Pour ce faire, un mandat d’études en co-maitrise d’ouvrage Ville/Actis a été lancé en janvier 2016 et confié à la SPL Sagès dans un souci de continuité et de cohérence avec les opérations riveraines, afin de définir les conditions de mise en œuvre d’une opération. Celle-ci coordonne un marché d’étude mené par les architectes-urbanistes de l’agence Particules associés à un BE espaces publics (D’ici-Là Paysage), une agence d’architecture spécialisée dans la réhabilitation, (Atelier Paris), un AMO sociologie et concertation (Bazar urbain) ainsi que divers sous-traitants (historienne de la ville et de l’habitat social, acousticien, plasticien). D’une durée de 15 mois, la mission doit aboutir à une feuille de route opérationnelle au printemps 2018. Elle s'attache à promouvoir l’innovation architecturale et technique autant que sociale et participative. La mission a apporté des compléments aux études déjà engagées par le bailleur notamment sur les plans historique et ethnosociologique afin d'élaborer un diagnostic patrimonial de la pièce urbaine labellisée Architecture contemporaine remarquable et dont l’identité occupe une place importante dans le quartier et dans la ville. Les études réalisées constituent un outil de connaissance et d'évaluation qui a servi de base à la production de scénarii contrastés, prenant notamment en compte toutes les dimensions historiques et patrimoniales de cet ensemble urbain et de ses éléments constitutifs (architecture des bâtiments, espace, extérieur, usages). Ces scénarii ont proposé des stratégies d'intervention différenciées en termes de réhabilitation, de restructuration, de rénovation, de transformation du cadre bâti et des espaces publics, en privilégiant les hypothèses permettant de valoriser ce témoignage emblématique des HBM de l’entre-deux-guerres. La Ville souhaite creuser la piste de la réhabilitation le plus loin possible, en sollicitant l’État pour contribuer à résoudre la problématique budgétaire que cette piste induit, la faisabilité budgétaire étant le point critique.
Programmation et calendrier opérationnel restent à consolider, mais un scénario urbain a été choisi en novembre 2017, conservant 12 bâtiments sur les 15 d’origine et en reconstruisant 3 nouveaux (1 dans chaque îlot) dans un souci d’ouverture et de connexion au quartier Châtelet. La démarche de concertation liée au mandat a permis de rendre public ce scénario tandis qu’un premier bâtiment était démoli. 66 nouveaux logements seront proposés pour 158 réhabilités. Le réaménagement de l’espace public été indiquée par les opérateurs privés consultés comme une condition obligatoire d’intervention et de réussite de l’opération de rénovation urbaine, c’est pourquoi le projet prévoit aujourd’hui un réaménagement de 29 000 m² existant comprenant : - la place de la Commune de 1871, - les sections des rues Cartan et Argouges au droit de cette place, - la rue Condé, - la section de l’avenue Jeanne d’Arc au droit des îlots de l’Abbaye, - les sections rues adjacentes aux îlots de l’Abbaye (Chamoux, Du Guesclin, Buisson, Rivail et Cassin) - les places intérieures publiques de la cité (Riboud, Charpin et Bonnevay)
A partir du printemps 2018 s’engage une phase de réalisation opérationnelle qui s’échelonnera sur 5 à 8 ans, mêlant réhabilitation du bâti historique, intégration de bâtiments neufs en couture avec le quartier Châtelet et refonte des espaces publics dans une recherche de mixité sociale, fonctionnelle et des usages. La Métropole et la Ville sont aujourd’hui en cours de montage de l’outil permettant de mettre en œuvre cette feuille de route. Pour en savoir plus, n'hésitez pas à consulter les chroniques sur la Protection du patrimoine bâti et des espaces publics.