L’explosion démographique exige désormais de penser un urbanisme planifié à plus grande échelle. Déclassée, l’enceinte militaire est démolie par tronçons, alors que plusieurs plans d’aménagement se succèdent pour tenter de juguler une urbanisation désordonnée, notamment au sud de la ville.
Les premiers ensembles d’habitat social voient le jour. De nouveaux quartiers sont créés en rupture avec les formes architecturales et urbaines antérieures, portés par le mouvement moderne et l’emploi désormais généralisé du béton armé.
Le schéma bleu symbolise l'emprise approximative de Grenoble à cette période.
La ville poursuit sa croissance dans une agglomération ou quelques communes s’ouvrent à l’industrie tandis que d’autres renforcent leur vocation résidentielle. Cette période est marquée par l’extension progressive de l’urbanisation autour de la ville centre qui, jusque-là, a au contraire attiré les populations des communes proches. Les quelque vingt communes qui constitueront le groupement d’urbanisme en 1945 sont alors appelées « agglomération ». Cet ensemble passe d’environ 10 000 habitants à la veille de la Première Guerre mondiale, à plus de 40 000 au lendemain de la Seconde. Plusieurs facteurs expliquent ce développement, dont l’industrialisation croissante ou naissante de certaines communes (Fontaine, Saint-Martin-d’Hères, Pont-de-Claix, etc.) et le renforcement de l’attrait résidentiel de quelques autres (La Tronche, Saint-Martin-le-Vinoux, etc.). La concentration maximale se focalise autour de la ville centre : au lendemain de la Première Guerre mondiale, la partie agglomérée de la ville se situe dans le tiers nord du territoire communal. La partie sud voit pousser des noyaux d’urbanisation, cités ouvrières et lotissements accompagnant parfois des installations industrielles. Les faubourgs de la Bajatière, de l’Île-Verte, de la Capuche ou des Eaux-Claires occupent un territoire trois fois plus grand que l’ensemble des autres quartiers réunis. La conquête vers le sud est engagée.
Cette période de construction s’accompagne d’une forte croissance de la population. Si de nombreux Dauphinois quittent leur vallée pour trouver du travail, l’on vient aussi de bien plus loin. Ainsi, ces Italiens du Sud, issus du même village de Corato, donnent une forte tonalité italienne à la ville, notamment dans le quartier Saint-Laurent. Cette vague d’immigration est portée par la période des Trente Glorieuses. La ville ancienne est oubliée au profit de nouveaux aménagements urbains en totale rupture avec l’urbanisme d’avant-guerre.
Les années qui suivent la Première Guerre mondiale connaissent un véritable bond de la construction. Cet essor favorise le développement des logements sociaux et la recherche de nouveaux modèles urbains, tels que la cité-jardin du Rondeau, les immeubles du quartier de l’Abbaye ou ceux du boulevard Clémenceau. Enfin, les Trente Glorieuses permettent aux grands ensembles de la périphérie de s’affranchir de toute contrainte urbaine et de se développer aussi bien en hauteur qu’en longueur, comme à la cité Paul-Mistral. Entre 1922 et 1939, sept réalisations totalisent ainsi près de 1 000 logements.
Le plan Jaussely, notamment, projette à l’emplacement de la dernière enceinte, datant de 1880-1884, la réalisation d’un grand boulevard (actuels boulevards Maréchal-Joffre, Maréchal-Foch et Joseph-Vallier). La Régie foncière de la ville deGrenoble, créée en 1933, est chargée d’acheter les terrains, d’effectuer les travaux et de revendre les lots.L’opération se poursuit jusqu’en 1960.
Logement ouvrier et logement insalubre sont souvent associés. À la veille de la Première Guerre mondiale, la crise du logement ouvrier est déjà un vieux problème qui ne fera que s’aggraver. Le maire, Paul Mistral, en fait une de ses préoccupations majeures. La première solution est d’aménager en logements les casernes plus ou moins vides, mais l’armée refuse. La deuxième est la création de l’Office public d’habitations à bon marché (OPHBM). Depuis 1906, une série de lois permet en effet aux villes de créer des établissements publics chargés aussi bien de la construction d’habitations à bon marché que de l’assainissement des maisons insalubres. En mai 1920, six mois après son élection à la municipalité, Paul Mistral décide de créer un office à Grenoble qui sera approuvé par décret en février 1921. Son objectif est d’éradiquer les logements insalubres et de favoriser la construction d’habitations ouvrières. Ainsi voient le jour les habitations bon marché (HBM). Le premier projet présenté au conseil municipal, en décembre 1921, est une véritable cité-jardin, loin de la ville, au Rondeau, à l’emplacement actuel de la cité Paul-Mistral. Elle illustre la politique hygiéniste de la municipalité. Cela n’empêche pas la construction d’immeubles en périphérie de la ville : sept réalisations totaliseront près d’un millier de logements entre 1922 et1939.
Les opérations de logement social répondent à une réalité sociale et à un besoin croissant de logements destinés à une main-d’œuvre toujours plus nombreuse, attirée par le développement industriel de l’agglomération. Elles présentent de nouvelles formes urbaines : l’alignement sur la rue et le petit immeuble plurifamilial disparaissent au profit de deux types d’immeubles, les barres et les tours. C’est l’urbanisme des « chemins de grues ». Alors qu’à l’origine, les barres n’atteignent que trois ou quatre niveaux et une cinquantaine de mètres de long, elles atteindront, après les années 1960, une douzaine de niveaux et plusieurs centaines de mètres de long. Les tours, quant à elles, peuvent atteindre quinze niveaux.
En parallèle, les particuliers constituent des sociétés anonymes d’habitations à bon marché et réalisent des immeubles en copropriété avec un règlement devenu maintenant classique : parties communes, parties privatives, division en millièmes, etc. La société Mon logement, par exemple, réalise en 1932 un ensemble de six immeubles regroupant soixante logements rue Jules-Ferry (à l’arrière du boulevard Clemenceau).
Les faubourgs et les communes suburbaines profitent de l’accroissement de la population. En 1920, Paul Mistral décrit cette situation : « Cette banlieue menace de devenir une vaste agglomération risquant de couper Grenoble en deux villes : la ville proprement dite, avec ses alignements, ses rues, ses avantages ; puis, plus loin, un horrible et immense village, réclamant de coûteuses expropriations pour être harmonisé avec le reste de la cité. »
Le plan Jaussely est remis en cause, en premier lieu par les propriétaires fonciers qui se regroupent en syndicat et attaquent l’ensemble du projet sur le tracé et la largeur des voies, le plafond de population et le réseau de voies ferrées et les gares (qui devaient s’installer au sud des Grands boulevards). Les milieux industriels sont également divisés selon leurs intérêts. Ainsi, dès fin 1933, quelques mois après la mort de Paul Mistral, le conseil municipal approuve une série de modifications et plusieurs plans se succèdent (les plans Marchand-Prudhomme, puis Berrier). Ils sont à l’origine des immeubles de grande hauteur, isolés dans la verdure en bordure des grandes artères, qui n’affectent pas les projets sur la ville existante.
En 1943, la zone sud est un ensemble de lotissements d’habitations et d’industries desservis par des chemins ruraux transformés en rues plus ou moins bien raccordées au réseau général. L’extrême sud reste le domaine des exploitations agricoles, des entrepôts et de quelques implantations industrielles extensives.
De 1945 à 1960, des plans d’urbanisme parfois contradictoires se succèdent, donnant le sentiment que les études s’ajustent à une urbanisation rapide plutôt qu’elles ne la précèdent. À partir de 1950, le boom immobilier s’amorce à un moment où la situation réglementaire devient de plus en plus confuse et conflictuelle entre les administrations (ville, ministère de l’Urbanisme et ministère des Travaux publics). À partir de 1952, des plans de quartiers sont mis à l’étude par la Ville et le ministère à Saint-Laurent, l’Abbaye, les Alpins, sur le Polygone d’artillerie et sur la frange est de la vieille ville. Certains permettent de lancer quelques opérations immobilières ou d’équipements publics. Ainsi, vers 1952, le projet de l’architecte Herbé d’un grand ensemble universitaire et résidentiel sur la Bastille a laissé quelques traces : les instituts de géologie et de géographie alpine.
En 1963, la situation évolue sous l’impulsion d’un préfet qui s’intéresse à l’aménagement. Un seul et même urbaniste, Henri Bernard, est chargé du plan directeur de l’agglomération par le ministère et du plan d’urbanisme de Grenoble par la ville, dans le cadre d’un atelier d’urbanisme qui se constitue localement. Ce plan directeur s’accompagne d’une véritable promotion : les articles de presse le définissent comme « un projet permettant à Grenoble de sortir d’une longue léthargie municipale ». Une formule percutante présente alors l’organisation de l’espace grenoblois : « une tête (la Bastille), un corps (l’axe majeur des densités dont le cœur est le nouveau centre) et des membres (les opérations de forte densité rayonnant dans les communes voisines) ».
L’urbanisation nouvelle dans la ville centre est surtout caractérisée jusque dans les années cinquante par une stagnation. À partir des années soixante, elle résulte de projets immobiliers des banques d’affaires et des agents immobiliers locaux. La ville lance en parallèle un programme de rénovation ambitieux qui porte sur plus de 2 000 logements.
Le plan Jaussely prévoit d’élargir la plupart des rues de la vieille ville, mais seul un grand axe est réalisé. En 1935, Prudhomme fait approuver par le conseil municipal l’achèvement de la liaison Grenette-Sainte-Claire. Si la vieille ville résiste à toute modification de fond, certains îlots et quartiers situés à proximité se reconstruisent. Le transfert des hôpitaux libère des terrains qui ne sont pas tous bâtis en 1914. L’après-guerre voit ainsi la réalisation des îlots autour des rues de Palanka et de Belgrade, avec la construction de grands immeubles promus par des sociétés anonymes, comme le Majestic (10-12, rue de Belgrade et 4, rue Palenka), ou de grands équipements comme la Banque de France. De même, les dernières grandes propriétés du quartier Championnet disparaissent au profit de nouvelles voies bordées d’immeubles art déco et modern style.
La situation des logements insalubres s’aggrave par manque d’entretien pendant la Seconde Guerre mondiale, à tel point que certains immeubles s’écroulent d’eux-mêmes. Ainsi, la déclaration d’utilité publique, obtenue en juillet 1959 sur l’îlot République, va radicalement transformer le cœur de la ville ancienne. Début 1960, le conseil municipal élargit cet objectif et décide d’un programme de rénovation qui porte sur plus de 2 000 logements répartis dans quatre secteurs (République, Mutualité, Très-Cloîtres et Saint-Laurent), totalisant une dizaine d’hectares. Seules deux opérations, République et Mutualité, sont amorcées en 1965.
Le premier permis de construire, constitué par un immeuble unique (11, 13, 17 et 19, rue de la République), est délivré en 1963. Deux constatations s’imposent. La première est l’insensibilité à l’environnement urbain, car ni les gabarits, ni les angles de vue, ni les matériaux du tissu existant ne sont pris en compte. La seconde est l’insensibilité à l’histoire de Grenoble : des vestiges de l’enceinte romaine mis au jour à l’occasion de ces travaux disparaissent en grande partie.
Les années trente marquent une véritable rupture dans l’architecture grenobloise, tant par le mode de construction que par le style des façades et de la décoration. Les premières années de l’après-guerre connaissent à Grenoble un véritable « boom » de la construction.
La physionomie de la ville change. Le regroupement des parcelles, l’augmentation de la hauteur des immeubles (jusqu’à neuf étages) et l’implantation en îlot avec cour fermée ou parfois ouverte sur l’espace public sont autant d’éléments qui différencient radicalement les nouveaux projets, malgré le maintien de l’alignement des façades sur la rue. Beaucoup d’architectes se lancent dans des techniques constructives innovantes et des formes originales grâce au béton armé.
Dans ce contexte, les nouveaux styles architecturaux font leur apparition sur les façades des immeubles grenoblois. L’art déco, qui émerge dans les années 1920 avec ses décors géométriques s’oppose à l’art nouveau. Le modern style, quant à lui, privilégie la forme au détriment de la décoration, avec des lignes épurées, des balcons filants et des jeux de toiture-terrasse sur les derniers niveaux.
En pleine expansion démographique et à la pointe de l’industrie, Grenoble est pionnière en matière de construction et d’emploi de nouveaux matériaux tel que le béton. De nombreux immeubles témoignent de cette architecture moderne place Gustave-Rivet (Grands boulevards), rue de Belgrade, dans les quartiers Condorcet et de l’Île-Verte, etc.
C’est l’évolution des techniques du bâtiment qui permet le développement de l’architecture moderne. Ce mouvement, qui voit le jour avec les années trente, s’impose sans transition. Dès 1930 apparaissent la toiture plate en terrasse, la fenêtre carrée, la baie rectangulaire allongée, la répétition des mêmes balcons à tous les étages, les angles traités en courbes et un nombre d’étages élevé. Cette architecture préfigure progressivement celle de l’après-guerre. La quasi-totalité des formes alors employées, y compris pour les balcons, les frontons et les couronnements, se prêtent au moulage du béton. D’une certaine manière, ce matériau atteint son apogée en 1939. Le passage de la maçonnerie traditionnelle au béton armé a pu être facilité par la pratique, déjà ancienne à Grenoble pour les entreprises et les ouvriers, du moulage de ciment.
Au début du XXe siècle, Grenoble est l’une des premières villes en Europe et la première en France à faire entrer l’art moderne dans son musée. Ce choix audacieux est celui d’Andry Farcy, conservateur de 1919 à 1949, qui exprime ainsi sa volonté de faire entrer la création la plus contemporaine à Grenoble : « Mes projets sont simples : continuer en faisant le contraire de ce qu’ont fait mes prédécesseurs. J’ouvre la porte aux jeunes, à ceux qui apportent une forme neuve dans une écriture que je n’ai jamais encore vue ! Voilà la règle qui permettra de réaliser le seul musée moderne qui soit en France ».
C’est par l’intermédiaire du peintre dauphinois Jules Flandrin et de sa compagne Jacqueline Marval que Farcy entre en contact avec les artistes les plus novateurs de la scène artistique parisienne. Il fait ainsi la connaissance de Picasso en 1910 et de Matisse en 1920. Il sollicite directement les artistes qui offrent généreusement des œuvres : Monet, Matisse (dont le chef-d’œuvre de la collection, Intérieur aux aubergines, a été donné par sa famille dès 1916), Picasso, Max Ernst, George Grosz. Des collectionneurs, parmi lesquels Jacques Doucet, le docteur Albert Barries, Peggy Guggenheim, et des marchands tels que Daniel-Henry Kahnweiller, Ambroise Vollard, Paul Guillaume ou encore Alfred Flechtheim apportent eux aussi leur pierre à l’édifice en donnant des œuvres importantes. Ces dons sont complétés par des achats remarquables dont Le Remorqueur de Fernand Léger en 1928 ou Le bœuf écorché de Chaïm Soutine en 1932. À cela s’ajoute, en 1923, le legs Agutte-Sembat, qui apporte un ensemble unique et considérable d’œuvres néo-impressionnistes (Signac, Cross, Van Rysselberghe) et fauves (Matisse, Derain, Marquet, Vlaminck) et situe, dès lors, le musée comme un passage obligé pour découvrir ces mouvements.
Cette politique novatrice et très volontariste permet aujourd’hui à la Ville de Grenoble de posséder la plus importante collection d’art moderne en France, après le musée national d’Art moderne (MNAM) de Paris.
Le 1er septembre 1939, suite à la mobilisation générale, des milliers de Grenoblois s’engagent dans la campagne de France entre mai et juin 1940. Après le 22 juin et la signature de l’armistice entre le maréchal Pétain et les autorités nazies, le pays est divisé en deux, avec la zone libre (au sud) administrée par le régime de Vichy et la zone occupée (nord et partie sud-ouest). Grenoble se trouve ainsi en zone libre. Rares sont les opposants à Vichy et à son chef, le maréchal Pétain, accueilli triomphalement dans la ville en mars 1941. Pourtant, Grenoble se révèle un foyer précoce pour la Résistance, par l’implantation des mouvements Combat, Franc-Tireur, Libération et du Front national, issu du Parti communiste clandestin, et par l’émergence de réseaux de renseignements en relation avec la France Libre.
En novembre 1942, le débarquement anglo-américain en Afrique du Nord provoque l’invasion de la zone libre par les nazis, à l’exception des Alpes françaises sous l’autorité de l’Italie fasciste, en accord avec le Reich. Cependant, l’occupation italienne est une menace relative pour la Résistance. La Collaboration à outrance de Vichy avec l’Allemagne nazie et l’instauration du service du travail obligatoire (STO) en février 1943 provoquent peu à peu une désaffection des Grenoblois pour le régime maréchaliste. De nombreux réfractaires au STO rallient alors la Résistance et gagnent les maquis environnant la ville.
Après l’armistice conclut par les Alliés et le maréchal italien Badoglio en septembre 1943, les nazis prennent le contrôle des Alpes françaises. Grenoble est particulièrement touchée par cette occupation. Du 25 au 30 novembre, la police nazie et ses collaborateurs français procèdent à la « Saint-Barthélemy grenobloise » en éliminant plusieurs chefs de la Résistance. Celle-ci n’en mène pas moins des opérations de sabotage, avec l’explosion des dépôts de munitions de l’occupant au polygone d’artillerie et à la caserne de Bonne, les 14 novembre et 2 décembre. Jusqu’à la Libération, l’Armée secrète et les organisations communistes (Francs-Tireurs et partisans français, Francs-Tireurs et partisans de la Main-d’œuvre immigrée) multiplient les actions de guérilla.
Après le débarquement du 6 juin 1944 en Normandie, les troupes américaines débarquées en Provence le 15 août libèrent Grenoble le 22 août. La répression par les nazis et leurs complices se poursuit jusqu’à cette date. La Résistance, qui a pris part à la Libération, restaure par le biais du Comité départemental de libération nationale (CDLN) les instances républicaines. Tandis que la République renaît, la guerre se poursuit aux portes de l’Allemagne et sur les cols alpins jusqu’au printemps 1945. Le 5 novembre 1944, le général de Gaulle remet à Grenoble le titre suprême de commune Compagnon de la Libération.
Un petit groupe de physiciens de la faculté de Strasbourg s’est replié à Grenoble pendant la guerre. Parmi eux, Louis Néel choisit d’y rester, sensible à l’atmosphère orientée vers le progrès scientifique et social. Il attire des personnalités brillantes qui seront à l’origine d’un pôle de recherche scientifique de haut niveau. Sur le plan disciplinaire, les physiciens dominent, mais très vite émergent d’autres disciplines dont les mathématiques appliquées, puis l’informatique, l’automatisme et l’électronique, alors relativement délaissées par Paris et ses grandes écoles.
Une nouvelle phase de lobbying se met en place pour obtenir que les grandes institutions scientifiques créées au lendemain de la guerre (CNRS, CEA, INSERM, etc.) viennent s’implanter sur le territoire grenoblois. À côté d’autres laboratoires, le Centre d’études nucléaires de Grenoble (CENG) devient ainsi en 1956 le premier centre nucléaire de province. Le Laboratoire d’électronique et de technologie de l’information (LETI) est créé en 1967, ainsi que l’Institut Laue-Langevin (ILL), né d’une coopération franco-allemande. Ces puissants instruments de recherches sont fondamentaux à plus d’un titre, car leur caractère unique renforcera considérablement l’attractivité du pôle grenoblois. Ils faciliteront par la suite l’installation de nouveaux dispositifs et d’équipes de recherche de haut niveau, aussi bien publiques que privées.
L’énorme développement de l’investissement public change la nature des relations entre l’université et l’industrie et favorise le développement de la recherche coopérative et dirigée. Les fondateurs montrent l’exemple en matière de création d’activités industrielles à partir des laboratoires scientifiques : dès 1948, Noël Felici crée la SAMES, société d’électrostatique industrielle, tandis que Louis Néel participe avec Ugine à la mise sur pied d’Ugimag. Louis Weil travaille pour sa part avec Air Liquide et Michel Soutif avec Alcatel. En 1962, le département automatisme et électronique de la société d’électricité Mors est créé dans les locaux de l’INPG.
Industrie, science et technique apparaissent ainsi dans les années 1960, à côté de la modernité politique et sociale, comme les éléments fondamentaux du « mythe grenoblois ». L’accession à la mairie d’Hubert Dubedout, un ancien ingénieur du CEA, et l’obtention des Jeux olympiques couronnent ces efforts pour construire l’image d’une ville jeune, dynamique et ouverte.
Né en 1944, Peuple et Culture (PEC) est considérée comme une association d’éducation populaire emblématique parce qu’elle a permis de mobiliser dans la vie civile des combattants et des résistants. Ses membres ont su, dans la diversité des courants politiques, se fédérer autour des valeurs du personnalisme d’Emmanuel Mounier, avec l’objectif de participer à la reconstruction du pays. La première génération de militants, réunie autour de Joffre Dumazedier (sorti de l’école d’Uriage pour combattre dans le Vercors) et de Joseph Rovan (rescapé d’Auschtwitz), parvient ainsi à installer, à côté des institutions formelles d’éducation et de recherche, d’autres stratégies de construction et de diffusion du savoir.
Le Manifeste de la maison de la Culture, mis en chantier à l’été 1945 et publié début 1946, est une synthèse de la doctrine de PEC visant à la création d’une véritable communauté culturelle. Ce document radical et visionnaire met mal à l’aise la municipalité grenobloise qui le juge trop critique. Dans le même temps, PEC fait appel au comédien et metteur en scène Jean Dasté, qui crée alors la Compagnie des comédiens de Grenoble, pour monter, avec le soutien de Jeanne Laurent à la Direction des beaux-arts, un Centre dramatique national. La réalisation de ce projet, présenté comme « l’expérience de Grenoble de décentralisation théâtrale », suppose que la Ville confie à la maison de la Culture le théâtre municipal, afin que le centre dramatique ait un lieu à sa mesure. Mais Léon Martin, maire de Grenoble nouvellement élu en avril 1945, refuse le projet et Jean Dasté quitte la ville. Cet échec marque une rupture. La deuxième génération de militants de PEC fournira, après un débat houleux au sein de l’association, les élus locaux, porteurs de l’idée que l’État, une fois reconstruit, devait rayonner à travers le développement local et la décentralisation. Bernard Gilman, René Rizzardo, Bernard Smagh, François Hollard et bien d’autres affirmeront les valeurs de l’éducation populaire dans des politiques contribuant ainsi à faire de Grenoble un berceau de l’innovation culturelle et sociale.
L’Association pour une maison de la Culture à Grenoble, présidée par Michel Philibert, animateur du ciné-club et grand militant d’ACTA (Action culturelle par le théâtre et les arts), est créée en 1964. Elle a des alliés de poids au ministère de la Culture (Émile Biasini) comme à Grenoble, en la personne du préfet Maurice Doublet. Elle s’appuie sur tous ceux qui veulent promouvoir la vie culturelle : ACTA, avec ses deux principaux animateurs, Jean Delume et Pierre Monnier, la Comédie des Alpes, Peuple et Culture, la Jeune Chambre économique, auxquels se sont joints les syndicats et leurs comités d’entreprise, les unions de quartier, les maisons des jeunes et de la culture et d’autres associations, les partis politiques (PC, PSU, GAM).
La création de la maison de la Culture, décidée dans les premières semaines du mandat de l’équipe d’Hubert Dubedout, a une forte portée symbolique. Elle est inaugurée trois ans plus tard par André Malraux à l’occasion des Jeux olympiques d’hiver de 1968. Didier Béraud en est le premier directeur. La Comédie des Alpes, codirigée par René Lesage et Bernard Floriet, quitte le petit amphithéâtre de la rue du Lycée pour s’y installer.